Rencontre avec Lina Soualem, réalisatrice du film « Leur Algérie » sorti en octobre et ayant reçu de nombreuses récompenses.
Après 62 ans de mariage, les grands-parents de Lina, Aïcha et Mabrouk, ont décidé de se séparer. Ensemble ils étaient venus d’Algérie jusqu’à Thiers, il y a plus de 60 ans, et côte à côte ils avaient traversé une vie semée de difficultés. Pour Lina, leur séparation est l’occasion de questionner leur long voyage d’exil et leur silence. Un film qu’elle réalise à Thiers, complété par les images d’archives de son père Zinedine Soualem.
Bonjour Lina, vous avez grandi avec le cinéma par votre père comédien et votre mère actrice et réalisatrice tout comme vous. Il s’agit d’ailleurs de votre premier film en tant que réalisatrice. 3 ans auront été nécessaires pour le construire, autour de témoignages et d’images d’archives de votre père. C’est un documentaire très intimiste et poignant, l’exercice n’a pas dû être simple en tant que petite-fille, d’amener la parole face à la caméra ?
Effectivement, c’est un exercice difficile, j’en étais consciente dès le début mais je ne pou- vais pas m’arrêter à ces difficultés, c’était vital puisque j’avais cette volonté de mieux connaître mon histoire. Voyant la génération de mes grands-parents disparaître, il m’était très dur d’imaginer perdre leur mémoire, leur vécu. J’avais également la volonté de capturer leurs souvenirs afin de les rendre visibles. L’histoire de mes grands-parents ainsi que de la génération d’algériens venus eux aussi à Thiers et plus largement en France est totalement invisibilisée, c’est pourquoi j’ai souhaité réaliser ce film.
Peut-on dire que ce film représente aussi bien votre devoir de mémoire que le nôtre à tous ?
C’est notre devoir à tous, c’est une façon de rendre hommage à l’exil lié à la colonisation et d’ainsi la replacer dans l’histoire française et pas seulement algérienne. C’est un sujet finalement très peu abordé dans les livres d’histoire puis à l’école. Plus personnellement, réaliser ce documentaire m’a permis de m’exprimer sur ce sujet et d’ainsi me reconnecter avec mon passé. Et égale- ment de comprendre l’histoire des exilés algériens, et de les inclure dans notre mémoire collective et non pas comme des étrangers. D’ainsi enrichir la mémoire collective franco-algérienne.
On voit à de nombreuses reprises votre grand-mère sourire, on devine une certaine tristesse, vous vouliez lui offrir une sorte de reconnaissance ?
Je souhaitais voir ce qu’il se cache derrière ce sourire, c’est aussi une façon pour moi de lui rendre hommage. Ma grand-mère a toujours été une figure féminine importante pour moi depuis que je suis petite. Malgré un parcours de vie difficile, elle a toujours gardé le sourire. Elle a su trouver le bonheur malgré les complications, elle a tout de même été arrachée à sa maman, à qui elle était très attachée. C’est une force de vie, elle a réussi, même si ça ne s’est pas fait vite, cela aurait pu ne jamais se faire. Elle a trouvé la force et la joie auprès de ses enfants. La génération de mes grands-parents est très différente de la mienne, pour ma grand-mère, on ne parlait par exemple pas d’amour. Or, on voit au sein du documentaire qu’elle parle librement, elle partage malgré certains non-dits.
Suite à votre documentaire, votre père, Zinedine Soualem, a-t-il pu en apprendre plus sur la vie de ses parents ?Bien-sûr, il a pu découvrir, tout comme moi, énormément de choses qu’il ignorait, J’ai moi- même découvert des choses sur mon père notamment à propos du « mythe du retour », dont mon père ne m’avait jamais parlé. Petit, il pensait toujours qu’il allait vivre ensuite en Algérie, lorsque le travail de son père en France serait terminé. Après la sortie du film, mon père a fait de nouvelles découvertes puisqu’il m’a énormément accompagnée sur des présentations du film, où il a pu rencontrer des amis et connaissances de notre famille. Certaines personnes lui ont ensuite raconté des anecdotes qu’il ne connaissait pas.
À un moment donné, vous roulez direction Thiers et vous demandez à votre père s’il est heureux de se rendre à Thiers, il vous répond qu’il est toujours heureux d’y aller. Quel est votre rapport à cette ville ?
Mon père se considère comme Thiernois. En ce qui me concerne, j’ai passé une grande partie de mon enfance à Thiers, lorsque je venais voir mes grands-parents. J’ai une relation particulière avec cette ville, je la voyais comme « mon Algérie », car j’y visitais mes grands-parents algériens. Mais je peinais à trouver ma place au sein de cette ville. Par exemple, lorsque j’étais petite, le Creux de l’Enfer m’effrayait, j’ai cependant découvert l’intérieur d’anciennes usines avec mon grand-père grâce à la directrice du Musée de la coutellerie. Ce qui m’a permis de redécouvrir la Ville sous un autre angle. Avec la réalisation de mon documentaire, mon regard a changé, je me suis beaucoup rendue à Thiers, j’ai dû également faire des recherches, j’ai lu George Sand notamment.
Nous n’avons pas fini d’entendre parler de Lina Soualem et sa famille, puisqu’elle travaille déjà sur un prochain documentaire qui traitera de la transmission de l’histoire par les femmes au sein de sa famille, cette fois-ci côté maternel.